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Après la cérémonie officielle d'ouverture de la 3ème édition du Festival International de Cinéma Latin de Paris, le 13 octobre dans le cinéma Gaumont Marignan, on a projeté le court-métrage mexicain La Purísima de Carlos Muñoz, le long-métrage Propiedad Ajena de Luis Vélez et le documentaire La Santa Muerte, d'Eva Aridjis. Pour sa troisième édition, le festival a rendu hommage au cinéma mexicain à travers d'une rétrospective qui a inclus des films depuis les années' 40 jusqu'à nos jours. En plus, les organisateurs ont décidé d'ajouter aux productions latino-américaines, d'autres provenant de pays européens de langue latine comme c'est le cas de l'Espagne et la France, avec l'intention d'éveiller l'intérêt d'un public plus ample et varié ainsi que de favoriser la distribution d'œuvres inédites. Le jeu des genres Après avoir visionné environ 250 films, le festival a sélectionné 35 œuvres entre long-métrage de fiction, documentaires et court-métrages. Au contraire d'autres festivals, cette année dans les long-métrages de fiction a prédominé la comédie avec une certaine tendance à ironiser sur les genres standardisés du cinéma et de la télévision. Bluff (Felipe Martínez, Colombie, 2007) est l'histoire de Nicolas, un photographe de modèles qui un jour rencontre sa fiancée Margarita intimant avec Mallarino, le PDG de la entreprise d'édition pour laquelle il travaille. A partir de ce moment là il perd sa fiancée, sa maison et son emploi et décide de se venger. L'utilisation d'effets digitaux et surimpressions répondent aux caractéristiques esthétiques de l'excès, le pastiche, la répétition et la citation comme caractéristiques de notre culture visuelle postmoderne, tous des aspects fondamentaux du langage visuel actuel autant dans le domaine cinématographique que télévisuel. Le cadre se sature d'images que se répètent, se superposent, se succèdent dans un montage frénétique accompagné par le rythme vertigineux des entraînant thèmes musicaux qui rappellent un peu les jingles publicitaires. Cette esthétique postmoderne, traduite en Bluff au langage cinématographique, n'évite pas par cela d'être très télévisuel. C'est un exemple clair de la traduction en images de la société de consommation de notre ère industrielle, dont le mélodramatique feuilleton latino-américain fait partie. Dans Bluff les clins d'œil sur les genres propres à la télévision, le feuilleton et la publicité, apparaissent constamment. Nicolas -à la fois personnage principal et narrateur intra-diégétique - interpelle le public dans ses commentaires à la manière des aparté théâtraux et des spots publicitaires, utilisant toujours l'humour comme forme de provoquer la sympathie dans le spectateur. Un chose similaire arrive dans Polaroides Urbanas (Miguel Falabella, Brésil, 2007) où les vies de cinq femmes provenant de milieux différents - une ennuyeuse maîtresse de maison, sa jumelle riche qui voyage en permanence, une diva de théâtre qui souffre d'attaques de panique et un psychanalyste qui essaie d'aider ses patients quand elle-même ne peut pas résoudre ses propres problèmes -se croisent en différents moments et espaces dans la moderne Rio de Janeiro. On aperçoit également ici un regard ironique sur les feuilletons télévisés et un jeu baroque de la mise en scène théâtrale dans la représentation cinématographique. Depuis le premier travelling avec des plans de détail des objets placés dans la loge de Lise Delamare jusqu'à la représentation de la pièce de théâtre classique Antigone de Sophocle au début et but du film, tout semble indiquer que nous sommes en face de ce que Calderón de la Barca nommait " Le Grand Théâtre du Monde ", une métaphore du monde en tant que mise en scène théâtrale dans laquelle chaque homme joue un rôle et doit se tenir à son destin. De cette façon Miguel Falabella présente sur un ton comique ses personnages, appartenant tous à la classe moyenne brésilienne, avec ses petits ou grands drames quotidiens. Le troisième et plus évident jeu du genre a été présenté par La Señal (Ricardo Darín et Martín Hodara, Argentine/Espagne, 2007). Le film, qui est fondé sur le roman homonyme de Eduardo Mignogna et marque le début de Darín comme metteur en scène, se déroule pendant les années '50 dans la Buenos Aires péroniste, au même temps que Evita Perón agonise après une longue et pénible maladie. Dans ce milieu le Pibe Corvalán entre en scène, -un espèce de Sam Spade ou Phillip Marlowe à l'Argentine qui, après être engagé par une belle et mystérieuse femme afin d'accomplir un apparent travail routinier de filature, découvre petit à petit une trame violente de corruption, vengeance et ambition. Le roman de Mignogna est encadré consciemment dans le genre du policier noir développé aux États-Unis pendant la décade du '30 duquel les représentants les plus notables ont été Dashiell Hammett (La Moisson Rouge, Le Faucon Maltais) et Raymond Chandler (Adieu ma jolie, Sur un air de Navaja). Dans ce genre littéraire les personnages sont ambigus et bougent par des environnements obscurs et troubles. Les protagonistes - plutôt d'antihéros que de héros - sont des êtres décadents qui rarement réussissent leurs missions, puisque dans ce type de récit la description et l'analyse de la décadence étique de la société est plus important que la résolution d'une énigme. La Señal cible constamment vers la même direction, autant depuis le point de vue narratif qu'esthétique. Le choix du maquillage, par exemple, abîme et vieillit les acteurs au lieu de les embellir, avec la seule exception de Gloria - interprétée par la sculpturale Julieta Díaz - qui est, non par hasard, l'antagoniste-méchante du "héros" Corvalán-Darín. En autres mots une des caractéristiques du film policier noir consiste en que, loin des principes platoniques, la beauté n'est pas toujours associée au bien, ni la laideur au mal, effaçant ainsi les frontières entre ces deux concepts opposés.
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En ce qui concerne la photographie, les premiers films du genre policier noir utilisaient en tant que support le film en blanc et noir, avec une illumination très contrastée (héritière de l'expressionnisme allemand) et des atmosphères diffuses dans lesquelles la lumière apparaissait souvent filtrée par la fumée d'une cigarette. Une des réussites esthétiques de La Señal est précisément que, en utilisant un film couleur, il donne l'impression d'être un film en blanc et noir. On a obtenue cela en travail de postproduction diminuant digitalement la saturation des tons et particulièrement à travers d'un extensif travail de décors, de costumes et d'outillage qui virent vers les noirs, blancs et toute une étendue gamme de gris. Bien que le roman et le film s'encadrent dans le policier noir, on ne peut pas laisser passer le fait que le récit se situe en Argentine, de là sort la deuxième ligne argumentative, celle du derrière plan politique en pleine époque péroniste. Il est important de rappeler que Eduardo Mignogna (auteur du roman) avait commencé sa carrière de réalisation en 1984 avec Evita, quien quiera oír que oiga, un long-métrage où il combinait de scènes documentaires avec une recréation de la jeunesse de Eva Perón. Cette fascination de Mignogna avec la figure d'Evita, expliquerait les croisements des deux lignes argumentatives dans La Señal. En premier plan, le dénouement tragique d'un homme, (Corvalán) qui a été utilisé par la reine de la maffia (Gloire) afin d'arriver à ses obscurs objectifs et, comme rideau de fond, les sordides trames de la politique argentine où le pouvoir utilise aussi les autres pour atteindre ses ambitions personnelles démesurées. Le parallélisme temporel qui s'établit dans le film parmi les derniers jours du Pibe Corvalán et ceux de Eva Perón est trop évident comme pour laisser de côté une lecture politique qui se renforce encore plus avec l'élection de l'opéra Norma de Vincenzo Bellini comme musique d'accompagnement du leurs lents procès de mort. Depuis le point de vue de Mignogna, Evita était une Norma moderne que se débattait entre sa fidélité au peuple et ses liens avec le pouvoir par lequel finalement a été trahie. L'auteur a laissé dans La Señal sa pensée politique comme testament filmique puisqu'il a décédé peu après avoir fini la rédaction du scénario. Un zoom sur la micro-réalité Les court-métrage Dans le court-métrage Carretera del Norte (Rubén Rojo Aura, Mexique, 2008) une famille, composée par un couple et deux fils, survit dans le désert au nord du Mexique grâce à la vente d'animaux aux automobilistes qui circulent au long de la route. Face à la nécessité extrême, la mère prend une décision radicale. Ce court-métrage mexicain réussit à exprimer beaucoup dans un intervalle bref de temps. Grâce à l'utilisation d'un filtre, les tons du film virent vers l'ocre et le jaune, comme ça on accentue la sensation de chaleur extrême, suffocation et soif. Les plans d'ensemble de cette petite famille composée par quatre personnes au milieu d'un vaste paysage désertique, transmettent une sensation unique de solitude, d'isolement au-delà de toute possible approche à la civilisation. Malgré sa brièveté, le court-métrage ne manque pas de langage symbolique. Dans l'un des premiers plans, un serpent rampe par la terre desséchée proche du berceau où le bébé dort. Peu avant le dénouement, la mère porte ce même serpent enroulé dans son bras, près de la poitrine avec laquelle elle allaitait son fils, faisant référence à la croyance aztèque du serpent ou coatl comme une divinité associée à la mère terre, à la fois porteuse de vie et de mort. Dans Un Vaso de Soda (Adriana Yurcovich, Argentine, 2008) un préadolescent fuit la police après avoir piqué un portefeuille dans la rue. Il se réfugie chez une vieille dame seule et essaye de voler ses affaires. Bien que moins achevé que le court-métrage mexicain, Un Vaso de Soda essaie de zoomer sur la micro-réalité argentine. La relation entre victime et victimaire se transforme au cours des dix minutes en quelque chose de presque familial, en ce qui pourrait être le lien d'une grand-mère avec son petit-fils. Ce bref récit d'un vol, un épisode qui pourrait s'interpréter comme hors normal, est en train de se transformer lentement en une peinture de mœurs. Quelque chose de similaire arrive de plus en plus dans la société argentine anesthésiée face à ses problèmes sociaux, acceptant la délinquance infantile comme quelque chose de quotidien et faisant passer ensuite la gorgée amère à l'aide d'un verre de soda, de la même façon que la vieille dame de ce court-métrage.
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Par sa part, El Epígrafe API (Salvador Cuevas, Espagne, 2008) observe avec certain humour le monde actuel du travail. Andrea est une jeune informaticienne qui rentre en Espagne après un long séjour en Argentine et il arrive aux bureaux publics d'emploi avec le but de demander de l'aide dans son procès de réinsertion dans le marché de travail. Sous l'épigraphe API (assistante personnelle intime) l'État procure à Andrea une place de serveuse dans un night club en la menaçant en même temps de la retirer son allocation si elle n'accepte pas. C'est une difficile décision à prendre. Le documentaire politique El Hombre de las dos Havanas (Vivien Lesnik Weisman, Cuba / Etats-Unis, 2008). Après avoir passé son enfance sous les attentats et tentatives d'assassinat contre son père, la réalisatrice explore sa relation avec lui et avec Cuba qu'elle a laissé loin derrière. À travers sa vision, nous voyageons dans le passé et le présent, la nature de la responsabilité sociale et le sacrifice personnel. La Ciudad de los Fotógrafos (Sebastián Moreno, Chili, 2006). Pendant la dictature de Pinochet, un groupe de chiliens photographie la société chilienne sous ses diverses facettes. Dans la rue, au rythme des mouvements sociaux, ces photographes se sont regroupés, créant un véritable langage politique. Pour eux photographier était une pratique de la liberté, un moyen de pouvoir continuer à vivre. Les Récompensés Le 20 octobre la cérémonie de clôture et la remise de prix de la 3ª édition du Festival International de Cinéma Latin de Paris a eu lieu dans le cinéma Gaumont Marignan en présence de l'actrice espagnole Carmen Maura. Un jury composé par l'écrivaine Nelly Kaplan, les réalisateurs Juan Luis Buñuel et Laurent Salgues, l'actrice María Laborit et la Représentante de la Commission de Cinéma du Panama, Raquel Robleda, ont décidé d'octroyer la Fleur Latine d'Or et le Prix au Meilleur Réalisateur au film brésilien Polaroides Urbanas de Miguel Falabella, le Prix Spécial du Jury au long-métrage mexicain Piéces Détachées de Aarón Fernández, le Prix à la Meilleure Interprétation Masculine á été donné à Ricardo Darín pour La Señal. Le Prix à la Meilleure Interprétation Féminine a été remis à Marilia Pera pour Polaroides Urbanas, le Prix au Meilleur Scénario a été remis à Lucas Fernández pour Oscar, la couleur du destin. Par sa part, la récompense Fleur Latine d'Argent au meilleur court-métrage a été partagé entre La ciudad de los fotógrafos du chilien Sebastián Moreno et El Hombre de las dos Havanas de la cubaine-américaine Vivien Lesnik Weisman. La Fleur Latine de Bronze au meilleur court-métrage a été consacré au mexicain Rubén Rojo Zéphir pour Carretera del Norte tandis que Plastiquito, du collectif argentin Groupe Humus, reçut une mention spéciale. Adriana Schmorak Leijnse
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Bluff

Polaroides Urbanas

La Señal
Ceremonia de clausura
 La actriz argentina Julieta Díaz recibe el premio La Flor Latina al Mejor actor en nombre de Ricardo Darín por La Señal
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